Bouddhisme : Le Vajrayana

Le Vajrayana emprunte la plupart de ses écrits doctrinaux aux écrits philosophiques du Mahayana, dont il constitue le développement ésotérique.

Les thèses fondamentales très élaborées et systématisées des grands philosophes mahayanistes sont reprises par les théoriciens du Vajrayana. L’objectif poursuivi n’est plus de mettre en œuvre une puissante dialectique, ni d’approfondir et de structurer, dans le cadre de l’enseignement du Bouddha, une vision du monde fondée à la fois sur une subtile expérience intérieure et sur des idées couramment admises à l’époque. Désormais, c’est le point de vue pragmatique qui domine : il s’agit avant tout de fournir aux adeptes de l’art de vivre bouddhique qui leur est proposé, des indications et des préceptes conduisant au but recherché : la Libération personnelle et universelle.

On entre dans la voie du mantra secret, le Vajrayana, par une intuition appropriée, obtenue d’un maître très qualifié. Au moment de l’initiation, on prend l’engagement d’effectuer certaines pratiques et d’éviter certains modes de conduite en contradiction avec les réalisations tantriques, et ces engagements doivent être respectés. Si vous obtenez une initiation dans l’une des trois classes inférieures du tantra, kriya, charya ou yoga, vous devez vous engager dans la pratique de leurs systèmes de « yoga avec symboles » (méditation avec semence), puis de « yoga sans symboles » (méditation sans semence). Si vous êtes initié dans la classe supérieure du tantra-maha anuttara yoga tantra, vous devez d’abord maîtriser les pratiques de la phase de génération, puis celles de la phase d’achèvement.

Quiconque souhaite approcher les tantra bouddhistes doit d’abord affiner et faire mûrir son esprit en acquérant de l’expérience dans les méthodes soutrayana (hinayana et mahayana). Ce qui ne se fait pas simplement en lisant quelques livres ou en marmonnant quelques prières. Ce qui est requis, c’est plutôt une expérience intérieure de chacun des sujets de méditation.

Les quatre grandes écoles du Tibet, Nyingma, Sakya, Kagyu et Géloug, ont toutes des vues plus ou moins identiques concernant les entraînements du soutrayana. Il existe des différences mineures dans l’emploi de certaines terminologies, dans les détails sur la manière dont les différentes pratiques sont agencées, etc., mais les quatre traditions tibétaines enseignent toutes les entraînements du Hinayana et du Mahayana. Les Karma Kagyu en parlent comme des « quatre façons de tourner l’esprit », les Sakya comme de « se séparer des quatre attachements », etc., mais le sujet, la nature et le but sont les mêmes dans chaque cas. Gampopa, le principal disciple de Milarépa, écrivit lui-même un texte de Lam Rim (Le Précieux Ornement de la Libération) qui est encore étudié aujourd’hui par la plupart des disciples kagyupa.

Il y a un certain nombre de manières de classer les différentes lignées tantriques. Les nouvelles écoles (Sakya, Kagyu et Géloug) parlent surtout de quatre classes de tantra, alors que les Nyingma les subdivisent en six. L’essence de l’or pur suit la division en quatre parties :

  • Kirya ou tantra de l’action,
  • charya ou tantra de la conduite,
  • yoga ou tantra de l’union,
  • maha-anuttarayoga ou hauts tantra supérieurs.

Cette vision est rapportée à deux partie si l’on classe les trois premiers comme bas tantra. Une fois que l’on a progressé à travers les entraînements soutrayana, on peut envisager d’adopter une des méthodes Vajrayana parmi ces quatre classes.

La classe de tantra que nous devrions pratiquer et, au sein de celle-ci, le tantra spécifique que nous devrions choisir, sont déterminés par la nature et la disposition de notre corps, de notre esprit, de notre bagage karmique, etc.. Au sein du plus haut tantra, la nature des canaux d’énergie de notre corps, les points de pression mystiques, les énergies vitales, les impulsions génétiques, etc., sont d’importants facteurs à prendre en considération. Ce sont des sujets dont il faut discuter avec son Maître avant d’adopter une voie tantrique.

Une fois que l’on est assuré du tantra qui serait le plus adapté à ses besoins, on accède au Vajrayana en recevant des initiations complètes d’un détenteur de lignée entièrement qualifié. Parce que le maintient des vœux et des engagements pris au moment de l’initiation est le fondement de toutes les réalisations, il faut garder ceux-ci à l’esprit à tout moment. Par exemple, dans les deux classes inférieures de tantra, on prend les vœux de refuge et le vœux de Bodhisattva, ainsi que divers engagements tels que ne pas manger de viande ou d’autres aliments de couleur noire. Dans le yoga tantra, les dix-neuf engagements des cinq Jinas sont ajoutés à ceux-ci, et pour entrer dans le plus haut tantra, il faut aussi garder les vingt-deux vœux tantriques ainsi que les divers engagements de pratique associés au tantra spécifique que l’on est entrain de suivre. Les pratiquants du tantra mère, par exemple, doivent commencer tous les mouvements à partir de la gauche, et le dixième et le vingt-cinquième jour du cycle lunaire, lorsque les Dakas et Dakinis effectuent leur danse mystique dans les canaux, les gouttes et les points de pression du corps, ils doivent faire l’offrande secrète symbolisant l’union des énergies mâles et femelles Tout en maintenant sans discontinuer les disciplines de tantra que l’on a adopté, on s’engage avec application dans la pratique des yogas des deux phases tantriques. Dans le plus haut tantra, ces deux niveaux de yoga sont appelés « phase de génération » et « phase d’achèvement ». Ce sont les chemins parcourus par les grands yogis et mahasiddhas bouddhistes du passé. Ces phases de yoga de divinité, qu’ils ont adopté comme méthode principale, sont particulièrement puissantes, parce qu’elles peuvent être appliquées efficacement à tous les moments de notre vie.

Pour pouvoir appliquer ces techniques, il faut d’abord avoir trois qualités que sont le libre esprit du non-attachement, l’esprit Mahayana de la grande compassion, et une compréhension correcte de la vacuité.

Sans un esprit libre, on sera trop oppressé par la saisie sensuelle et par des impulsions biologiques incontrôlables pour pouvoir maintenir les disciplines tantriques. Ce pré requis d’un esprit libre est particulièrement important dans le plus haut tantra, qui est exprimé dans une imagerie très sexuelle.

La présence de cette deuxième qualité mentionnée par Tsong Khapa, la grande compassion de l’esprit d’éveil, est nécessaire afin de transformer la pratique en une cause d’omniscience. De plus, comme une grande partie de l’imagerie du plus haut yoga tantra est violente, un pratiquant qui ne serait pas empli de cette grande compassion pourrait facilement se faire une fausse idée.

La troisième qualité, une grande compréhension de la doctrine de la vacuité, est fondamentale à la pratique tantrique. Chaque sadhana (méthode pour atteindre l’éveil) commence avec la méditation sur la vacuité, est structurée autour de la méditation sur la vacuité et se termine avec la méditation sur la vacuité. Pratiquer le Vajrayana sans la Sagesse de la vacuité peut être très dommageable. Une des principales pratiques tantriques, par exemple, est la culture d’une certaine fierté divine, une conviction que l’on est une divinité tantrique éveillée, le Seigneur du Mandala. L’Esprit est le Corps de Sagesse d’un Bouddha (le Dharmakaya), la parole le Corps Béatifique (le Sambhogakaya), la forme le Parfait Corps d’Emanation (le Nirmanakaya), et le monde entier et ses habitants sont vus comme un mandala habité par les diverses formes de divinités tantriques. De cette manière, nous devons changer radicalement notre sens du « moi », ce qui implique le sujet de la vacuité. Pratiquer le yoga de fierté divine sans une compréhension de la vacuité sera non seulement inutile, mais pourrait aussi conduire à des problèmes d’identité ou d’autres effets psychologiques indésirables. Il est dit, par conséquent, que bien que le Vajrayana soit une voie rapide lorsqu’il est appliqué correctement et sur une base spirituelle appropriée, il est dangereux pour ceux qui manquent de maturité spirituelle. Ce genre de danger est l’une des raisons pour lesquelles il doit être pratiqué sous la supervision d’un Maître qualifié.

Si l’on ne possède pas encore ces trois qualités du libre esprit de renoncement, de la grande compassion de l’esprit d’éveil, et de la sagesse comprenant la vacuité de nos concepts de la réalité, il faut alors se consacrer aux pratiques du soutrayana pendant quelques mois ou quelques années jusqu’à ce qu’elles soient intériorisées et stabilisées. Nous devons toute fois espérer pratiquer le Vajrayana aussi vite que possible et nous efforcer avec beaucoup de zèle d’acquérir les qualités nécessaires. Sans l’aide du Vajrayana, les méthodes soutrayana ne pourront nous mener jusqu’à l’éveil total en une vie, alors que l’application au Vajrayana dans un cadre d’esprit ayant extrait la stabilité et l’expérience spirituelle de base du soutrayana peut apporter l’éveil en l’espace de quelques années. Il y a beaucoup d’exemples de yogis indiens et tibétains ayant atteint l’éveil en une vie. La raison pour laquelle les tibétains évoquent toujours le nom de Milarépa n’est pas qu’il fut le seul Bouddha que nous ayons produit. Des livres présentent des listes de yogis ayant atteint la réalisation totale en une vie. Si Milarépa est particulièrement proche de nos cœurs, et si c’est souvent son nom qui vient à nos lèvres, c’est simplement parce qu’il est le Bouddha du peuple. Ses échanges avec les gens durant ses nombreuses prérégrinations c’est quelque chose que nous prenons toujours plaisir à évoquer. A nos yeux, Milarépa personnifie l’esprit d’individualité spontanée, cette caractéristique nationale, que nous, les tibétains, chérissons et estimons tant.

Si nous pouvons accomplir les yogas de la phase de génération et de la phase d’achèvement du plus haut tantra, l’illumination en une vie, dans ce corps ci, est certaine. Même si nous accomplissons seulement les yogas de la phase de génération, tous les buts de cette vie seraient atteints et une grande réalisation serait encore possible au moment de la mort ou dans l’état de l’après mort.

Dans la phase de génération, on pratique le yoga de divinité dit « de fierté divine et d’apparence radieuse », principalement en relation avec le processus méditatif appelé « prendre la claire lumière de la mort, l’état de l’après mort et la renaissance comme respectivement le Corps de Sagesse (Dharmakaya), le Corps Béatifique (Sambhogakaya), et le Parfait Corps d’Émanation d’un Bouddha (Nirmanakaya) ». Cette pratique prépare l’esprit pour les yogas tantriques les plus sophistiqués de la phase d’achèvement et plante les graines des trois parfaits kayas (Corps) d’un Bouddha). L’entraînement au yoga de la phase d’achèvement fera plus tard développer ces graines en les trois véritables sphères d’un Bouddha. Si nous n’avions pas le temps de terminer la deuxième phase avant que la mort ne frappe, alors notre entraînement dans la phase de génération, à prendre la claire lumière de la mort comme le Corps de Sagesse, l’état d’après mort comme le Corps Béatifique, et la renaissance comme le Parfait Corps d’Émanation, nous donnera trois occasions d’obtenir une grande réalisation et de contrôler notre évolution à venir. De plus, une fois que nous maîtrisons les yogas de la phase de génération, nous sommes capable d’effectuer beaucoup des différentes activités tantriques de mandala pour aider les êtres. La pratique du yoga de divinité est vaste et profonde elle englobe tous les enseignements donnés par le Bouddha et tous les types de situations qui pourraient se présenter à nous.

La compétence des yogas de la phase de génération est comme un certificat permettant de s’inscrire à l’école des yogas de la phase d’achèvement. Même si nous ne pouvons développer le niveau subtil des techniques de méditation du mandala de la phase de génération, nous devrions au moins acquérir de la stabilité dans les méditations grossières de cette phase avant de nous attaquer sérieusement aux techniques de la phase d’achèvement. Il y a aussi une tradition d’effectuer certaines méditations de la phase d’achèvement tout au long de l’entraînement de la phase de génération afin de nous y familiariser et de déposer sur le courant de conscience des instincts qui se révéleront utiles plus tard, lorsque nous nous engageons dans une pratique intense des yogas de la phase d’achèvement.

Les plus hauts tantras, tels que ceux de Heruka, Guhyasamaja, Kalachakra, Hevajra, Yamantaka, etc., enseignent un éventail complet de techniques de méditations tantriques fondées sur le corps, dans lesquelles les énergies vitales du corps sont mises sous contrôle et dirigées dans le canal central d’énergie. Ces énergies sont alors concentrées sur les points de pression mystiques du corps, où les divers canaux d’énergie se rencontrent, avec pour but de défaire les nœuds qui empêchent la libre circulation des courants vitaux.

Livre de référence : Sa Sainteté le 14ème Dalaï-Lama : La Voie de la Lumière – Éditions : Presse du Chatelet.